Brittany Ferries : l'urgence à agir. (vendredi, 21 août 2020)

Depuis quelques jours, sur mes réseaux sociaux, je partage fréquemment des articles concernant la situation de la compagnie dans laquelle je suis salarié : pour les bretons (mais pas que) il s'agit de Brittany Ferries.

Pourquoi un tel investissement numérique alors que depuis juillet mes fils d'actualité sont restés volontairement muets, ou presque. J'ai souhaité poser ici, sur mon blog, les motivations, si je puis me permettre, qui me conduisent à "monter au créneau".

D'abord l'attachement profond que les uns et les autres peuvent avoir à cette compagnie si singulière. Ce qui est mon cas. Dans un parcours de vie vous pouvez avoir des coups de coeur pour des personnes, pour des biens aussi. Mais vous pouvez aussi avoir plus qu'un coup de coeur pour une société dans laquelle vous voulez travailler. Ce qui est mon cas également. Il y a là un mélange d'originalité (travailler sur un navire) et une part de séduction (pour l'histoire unique de la compagnie). Tout ceci forme un tout et débouche sur une belle histoire. J'avais 14 ans et lors d'un voyage en Grande-Bretagne à l'occasion d'un échange scolaire, classique, j'ai fondamentalement eu cette "révélation" lorsque le 12 Juin 1992 entre Plymouth et Roscoff je prenais le Bretagne (pour celles et ceux qui le connaissent, c'était le fleuron de la compagnie) et que j'ai pu dire aux copains de l'époque "un jour je travaillerai ici".

Chemin faisant, je n'ai jamais regretté ce choix et même si la politique occupe une part importante de mon quotidien, j'ai toujours souhaité conserver un pied sur mes navires. En effet, la politique est une passion et le fait de "faire" pour l'intérêt général une vraie motivation. Mais la réalité du monde du travail c'est aussi et surtout autre chose, vivre uniquement que de ses mandats n'est, de mon point de vue, pas une bonne chose. Ainsi que j'ai pu l'écrire sur mon Facebook, je ne suis pas cadre de la compagnie, je suis navigant, employé, comme la majorité des salariés de la compagnie. Ceci ne m'empêche absolument pas de défendre le pavillon français et la compagnie lorsqu'elle traverse une tempête. Et puis, professionnellement, la BAI offre aussi un ascenseur unique pour évoluer : il n'est pas rare de voir des collègues passer des concours en interne et progresser vers des postes à responsabilités. C'est une entité bien à part avec une culture d'entreprise très forte, très "corporate". 11 navires, 2 équipages par navire : 1 semaine en mer, 1 semaine à la maison; tout cela fait beaucoup de monde. Et en 2018 tout ce monde devait s'exprimer (navigants et sédentaires lesquels font un boulot immense à terre, dans les ports et au siège) pour élire un représentant au conseil de surveillance de la compagnie pour devenir administrateur  (Lois Sapin de 2015). On est venu me chercher un jour de mai 2018 au motif que élu, j'étais familier de ce type de réunion et que je n'y serai pas perdu. J'ai objecté que n'étant pas à temps complet cela avait peut-être un peu moins de sens... Mais non : j'ai donc été candidat hors syndicats mais soutenu par la CFDT et la CGT. Il y avait en face une candidature issue du collège "cadre" et ceci était bien normal. J'ai été élu et j'ai eu plaisir à revoir ma "concurrente" après un match, à Brest; on se connaissait depuis déjà longtemps et au sein de la compagnie c'est aussi cela : on sait se parler, il n'y a jamais de rupture définitive même si l'on peut ne pas être d'accord sur tout, tout le temps. Et pour être tout a fait précis sur ce fonctionnement professionnel et l'articulation avec mon mandat, je vais, le plus souvent, naviguer quand les vacances se font jour. Politique et exécution du mandat et basculement en uniforme pour les vacances. C'est un choix, c'est un rythme. Celles et ceux qui me connaissent savent que les 12 dernières années je n'ai pas pris de vacances l'été, je partais faire "mes semaines" en mer. Certains d'entre vous ont d'ailleurs pu m'y croiser. Toujours amusant de voir ces visages pleins de surprise...

Attachement donc. J'espère avoir pu le démontrer. En quelques mots même s'il est toujours frustrant de résumer 15 ans en quelques lignes.

Ensuite l'enjeu économique. Et le gros temps que traverse Brittany Ferries actuellement peut avoir des conséquences humaines et économiques désastreuses. Je trouve positif que les journaux locaux aient accepté de couvrir cette évidence : afin de faire prendre conscience que ce ne sont pas que des ferries à quai, des passagers qui traversent la Manche, la Mer d'Irlande ou le Golfe de Gascogne, c'est bien toute une économie, "un modèle" comme l'a rappelé justement le président de région, Loïg Chesnais-Girard. Il y a nous, les salariés évidemment; mais il y a les sous traitants, l'économie induite par ce maillage des territoires : dois-je rappeler que nous sommes présents à Roscoff, St Malo, Cherbourg, Ouistreham et Le Havre, que nous avons 11 navires, près de 3000 salariés, que nous dépassons les 2 millions de passagers par an? L'économie touristique en France et en Europe est une réalité. Alors quand, de manière unilatérale le gouvernement britannique décide de fermer ses frontières en mettant en place la quatorzaine c'est une catastrophe. 85% de notre clientèle est britannique : quand bien même la France n'agirait pas sous le coup de la réciprocité, comment voulez vous que les touristes anglais prennent le risque de ne pas pouvoir revenir chez eux sans passer par cette quatorzaine?

Concrètement, et Christophe Mathieu l'a rappelé hier, c'est une avalanche de 35 000 réservations qui a été enregistrée depuis la semaine dernière. Je ne suis pas un économiste, je n'ai pas fait les études pour mais je pense avoir du bon sens et cela, jusqu'à nouvel ordre, ne s'acquiert pas avec un diplôme. Si pas de passagers, pas de bateaux, si pas de bateaux, pas de navigants. Et le cercle vicieux tourne à plein régime. La compagnie fait appel au Gouvernement pour l'aider précisant que la pérennité n'est pas remise en cause : sauf que n'importe quelle société peut tenir combien de temps ainsi? Brittany Ferries, par la voix de son président annonce une perte de 250 millions d'euros pour 2020. Les pouvoirs publics ne peuvent fermer les yeux sur un dossier aussi lourd, sur une pépite économique régionale qui irrigue au niveau national et européen, ne peut pas fermer les yeux sur le 1er employeur de marins français. Les présidents de Bretagne, de Normandie et des Haut de France semblent avoir bien compris les enjeux. Le député européen Pierre Karleskind aussi.

Je formule le voeu le plus cher que, rapidement, le Gouvernement fasse une annonce qui aille dans le bon sens laquelle permettrait à la compagnie d'appréhender une fin d'année 2020 obscure et une hypothétique année 2021 maillée d'éclaircies. Je fais naturellement confiance à notre direction qui se bat pour protéger notre compagnie.

Je suis au chômage technique comme tant d'autres. Il me tarde de repartir en mer.

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